Historique

Les origines de l'Ordre : 1885-1896

Le regroupement professionnel des médecins est une évidence qui s’est toujours imposée, l’histoire de l’exercice médical le prouve.

Dans le monde antique, il semblerait que l’existence des « collèges de gens de métier » étaient connus et en Grèce les écoles de médecine regroupaient l’ensemble des médecins, les « Hétairies », séparées en deux instances : la première aurait regroupé les médecins qui, sur leur demande, auraient été acceptés dans la « confrérie », la seconde réunissant les membres les plus influents, sorte de « bureau », chargé de prendre des décisions et de contrôler la profession. Ces conditions ont été considérées comme pouvant prétendre être comparées à l’égal d’un « Ordre » des médecins, d’après Mme Samama. Le serment d’Hippocrate : « J’exercerai mon art dans l’innocence et la pureté », se présentant comme un « contrat social », n’est-il pas déjà l’ébauche confirmée d’un premier code de déontologie… ? A Athènes, le monument de Sarapion rappelle les devoirs du médecin : « Qu’il soit l’égal des esclaves, des pauvres, des riches et des rois et prodigue ses soins à tous comme un frère », texte qui à l’évidence préfigure l’article 7 de notre code de déontologie médicale actuel. A Rome existaient des « collegia », l’empereur romain Julien (331-363) ayant promulgué une loi imposant l’obligation d’être approuvé par un « collège » de médecins pour exercer la médecine, et ces pratiques se répandirent dans la Gaule romaine (associations de Medici et d’ Unctores).

Au Moyen Age, en France, apparaissent les « confréries » ( XIIème siècle), d’esprit religieux certes, contrôlées par les ordonnances royales, imposant des « jurandes » (statuts). Le « livre des métiers », institué par E. Boileau, aboutit à distinguer les médecins de robe longue, les chirurgiens, les barbiers.

Au XIIIème siècle, en 1260, apparaissent les confréries de chirurgiens, les premières universités de médecine (la 1ère à Montpellier déjà en 1220 !) qui veillent sur la profession, son honneur, son indépendance, son monopole d’exercice par des docteurs en médecine, les chirurgiens se constituant en « corporations » (1360). Au XVIIIème siècle, les « corporations » se développent dans le ressort des Facultés tandis que des écoles de chirurgie puis l’Académie royale de chirurgie sont créés (1743). Jean Verdier publie un « traité de déontologie » (1762), passant en revue des règles professionnelles qui est un appel à la réglementation : « Si on jette les yeux vers l’infinité d’abus qui troublent l’exercice d’un art aussi salutaire, on sera porté à croire qu’il serait utile que la médecine connut un tribunal particulier ». Il faut noter aussi que l’impératrice d’Autriche, Marie-Thérèse de Habsbourg, promulgue en 1753 à Vienne, capitale « médico-chirurgicale » de l’Europe, un « Ordre principal de la médecine » (Haupt Medizinal Ordnung).

La révolution française de 1789 abolit les corporations en raison d’un « corporatisme contraignant les libertés » et aussi pour mettre fin à leurs pouvoirs (loi Le Chapelier 14 et 17 août 1791).

Après cette date et la disparition des corporations, Napoléon, qui avait créé un « Ordre » des Avocats, ne jugea pas nécessaire de codifier les règles de l’exercice médical, à l’exception de la promulgation en 1810 de l’article « 378 du code pénal » concernant le secret médical.

L'idée d'une institution ordinale médicale : 1845-1848

Elle se manifeste pour la première fois sous le règne de Louis-Philippe, en novembre 1845, lors du « Congrès Médical de France » tenu à l’Hôtel de Ville de Paris où 2000 médecins adoptent, au cours de 13 commissions et à l’issue de 72 séances, le rapport présenté par les docteurs Laurent Cerise et Forguet, concluant à la nécessité de créer « des Conseils de discipline » au sein du corps médical. Il faut remarquer que jusqu’alors, cette « discipline » était assurée tant bien que mal par les Doyens de Faculté qui n’avaient d’autre possibilité que d’écrire au Procureur.

Le Congrès adopte également un vœu demandant que soit créé dans chaque arrondissement un « Collège médical » dirigé par un « conseil médical », comprenant d’office tous les médecins domiciliés dans l’arrondissement et servant « d’intermédiaire entre le corps médical et la société, entre le corps médical et chacun de ses membres, ayant à la fois des fonctions de protection et de moralisation et chargé de soutenir les droits des médecins et de maintenir la dignité professionnelle ».

L’opportunité de ce congrès, dirigé par le Pr. Orfila, doyen de la faculté de médecine de Paris (de 1830 à 1848), n’est peut-être pas étrangère à la création de l’Institution Ordinale : en effet, cette même année 1845, M. le Comte Achille de Salvandy, membre de l’Académie Française, ministre de l’Instruction Publique, aidé du Dr Alfred Donné, inspecteur des études médicales et par Etienne Pariset, secrétaire de l’Académie de Médecine, fait voter par la Chambre des Pairs un projet de loi instituant dans chaque département un « Conseil Médical » et une « Chambre disciplinaire des Médecins » . A la clôture de ce congrès, le 14 novembre 1845, Mr de Salvandy assure les congressistes « de la considération dont jouit une profession qui donne autant de garanties que la vôtre » et s’inspirant étroitement du rapport du docteur L. Cerise déclare « le Conseil aura pour mission, d’une part de soutenir les droits du corps médical et de ses membres, d’autre part de maintenir la dignité du corps médical ».

En février 1847, M. de Salvandy présente son projet de réforme des études de médecine et de l’exercice de la médecine, ce qui fait dire à M. Montalembert que « M. le ministre de l’Instruction publique devient « le propriétaire et le gardien de la santé publique » .

En juin 1847, le texte voté par la Chambre des Pairs au Palais du Luxembourg portait création au niveau de chaque département d’un « Conseil médical » chargé « de dresser la liste des praticiens y exerçant, de signaler aux autorités administratives et judiciaires les cas de médecine illégale, d’exécuter les mesures de police médicale prescrites par les autorités ».

En janvier 1848, le texte est inscrit en 1ère session et déposé sur le bureau de la Chambre des Députés… un mois avant les émeutes de la Révolution de février 1848 ! Les événements politiques qui s’en suivirent devaient écarter pour l’heure le projet de la création des « Conseils médicaux ».

Le projet d'un Conseil de l'Ordre : 1885 - 1896

En 1885 le projet d’un « Conseil médical » est repris sous forme d’une « Société centrale de Déontologie » et, après la loi Chevandier qui reconnut en 1892 une existence légale aux premiers syndicats médicaux auxquels revenait la défense matérielle des médecins, les projets, interventions, et exposés concernant la création d’un Ordre des Médecins se multiplièrent de 1884 à 1898 . A ce sujet, il faut mentionner l’intervention de nombreux membres de l’Association Générale des Médecins de France (AGMF), fondée par le Docteur P. Rayer en 1858, à l’origine d’exposés, en particulier ceux du Docteur Lalesque d’Arcachon, du Docteur Lassale de Lormont en 1897, devant l’union des syndicats médicaux, du Docteur Surmay de Saint Quentin (auteur en 1885 d’un projet de constitution d’un Ordre des médecins), du Docteur Mougeot de l’Aube, avec rapport du Docteur Rance en 1886, du Docteur Dignat présenté devant la Société de médecine pratique de Paris (25 février 1892), du « Journal de Médecine de Paris » (31-1-1897 ), de la « Revue du Praticien » (25-2-1898 ), et du sénateur Bublet lors de la discussion au Sénat de la loi d’organisation médicale du 30 novembre 1892. Reconnaissons que les interventions et l’action des membres de l’AGMF, premier organisme professionnel de secours mutualiste à couvrir le territoire national, préfigure, avec les organismes syndicaux, la création d’un Ordre des Médecins.

Des résistances, et même des oppositions en particulier, ne manquent pas de survenir : celle de l’Union des syndicats, d’abord tentée par la formation d’un « Ordre » (1887) s’en éloigne finalement par crainte des chambres de discipline et de la tutelle politique. Il faut citer également la méfiance du très médiatique Doyen de la faculté de médecine de Paris, Paul Brouardel, conseillant prudemment d’attendre l’établissement d’une telle autorité, laquelle, d’après certains, risquait de s’opposer à la sienne ! Un peu plus tard, signalons également dans le Concours médical, l’article très critique du Docteur P. Boudin à l’égard d’un Ordre des médecins (Concours médical n° 8 bis du 22 février 1933).

En 1896, le Professeur Grasset publie, en appendice à la troisième édition de ses consultations médicales, une dizaine de pages consacrées à « quelques principes de déontologie » avec le sous-titre : « devoirs des médecins entre eux ». Cet auteur note que : « la médecine et les médecins ne seront honorés et estimés à leur valeur que si les médecins eux-mêmes donnent l’exemple de la considération réciproque et suivent scrupuleusement, dans leurs rapports mutuels, les règles de haute convenance que la coutume, à défaut de la loi, impose à la confiance de chacun ». Le professeur Grasset ajoute (nous sommes en 1896) : « il est regrettable qu’il n’existe pas un Conseil de l’Ordre dans notre corporation. »

Il faut rappeler également la proposition en 1904 du Professeur Lereboullet d’un projet de rédaction d’un code de déontologie résumant ainsi « il n’est que temps pour tous les médecins de bien savoir ce que la loi médicale proscrit, ce qu’elle considère comme préjudiciable aux intérêts professionnels ». Les leçons que depuis 1860 le Professeur Ambroise Tardieu consacre chaque année à la déontologie médicale répondent à la même préoccupation, professionnelle et universitaire…

Un projet législatif : 1898 - 1923

En 1898, une proposition de loi visant à créer un « Conseil de l’Ordre des Médecins » est présentée par Monsieur Barthou, Ministre de l’Intérieur aux représentants de l’Union des Syndicats Médicaux.

Le 10 janvier 1923, le Docteur Aversencq, du syndicat médical de Toulouse, présente un rapport dans lequel il relance le projet de 1845 reprenant ainsi l’opportunité de créer une instance corporative, dotée de Chambres ou de Conseils départementaux, à qui il reviendrait de veiller au « respect de l’organisation de la profession et par là même à sa dignité » .

Le 24 juin 1923, lors de sa conférence à St André de Cubzac, le Professeur Henri Verger de Bordeaux évoque pour la première fois une base législative de l’Ordre .

Le 20 octobre 1923, la brillante conférence du Professeur Okinczyc, résume toutes les interventions sur ce sujet.

Les idées d’Aversencq et de Verger furent reprises avec eux par une commission de la confédération des syndicats médicaux avec la collaboration du Docteur Clavelier, ce dernier s’étant appliqué à codifier un règlement de déontologie.

Les premières bases législatives : 1928 - 1939

Le 7 mars 1928, le député socialiste du Nord, Monsieur Ernest Couteaux, maire de Saint-Amand-les-Eaux, dépose une proposition de loi visant à l’institution d’un Ordre des Médecins et la création de chambres médicales départementales et régionales :

Les chambres départementales des médecins seraient dirigées par un conseil élu chargé de dresser le tableau de l’Ordre et d’assurer la discipline ; un appel est prévu à l’échelon régional au chef-lieu d’Académie. Pour le député du Nord, s’inquiétant d’une vague d’immoralité qui monte parmi les médecins, « la création d’un Ordre des médecins assainirait la profession et relèverait son niveau moral… L’Académie de médecine ou la Faculté n’accepteraient qu’avec ennui le moindre contrôle sur la profession »

A cette proposition, non encore discutée à la Chambre des Députés, s’associe le 28 novembre 1928 une proposition identique à celle du député Couteaux, émanant de cinq députés, dits de droite, dénonçant « les brebis galeuses qui risquent de jeter un discrédit troublant sur la profession ».

Entre temps, le 5 avril 1928 l’écrivain Paul Bourget écrivait dans le Figaro : « une seule mesure, parmi celles que l’Etat peut prendre, garantirait la profession médicale contre tous les abus : la reconnaissance d’un Ordre des médecins »

Le 5 mars 1929, Monsieur Loucheur, ministre socialiste du Travail, soumet au Docteur Cibrié, secrétaire de la confédération des syndicaux médicaux, un projet de loi qu’il se propose, dans un très bref délai, de déposer au gouvernement, projet instituant un Ordre des Médecins.

Exposée au Conseil des Ministres, cette idée reçut de ses membres une complète approbation. Le projet est repris le 28 décembre 1929 par le député socialiste du Nord, François Lefebvre d’Anzin, dans les termes identiques à la proposition de son collègue Couteaux en 1928.

Le 9 avril 1929, l’Académie de Médecine, saisie de l’opportunité d’ un Ordre des Médecins par les ministres de l’époque, adoptait le vœu du Professeur Victor Balthazard demandant au gouvernement que : « soit soumise aussi rapidement que possible au vote du Parlement la création de l’Ordre des Médecins qui contribuerait à conserver à la pratique médicale son caractère de profession libérale, indispensable à l’intérêt des malades…, seule, une profession obligatoirement organisée peut être la fidèle gardienne de la moralité… et que soit donné régulièrement dans toutes les facultés un enseignement de déontologie, obligatoire pour les étudiants de 1ère et 2ème année » vœu d’ailleurs confirmé le 11 juin 1929…

« il apparaît nécessaire, poursuit le Professeur Balthazard, de compléter la création d’un Ordre des Médecins qui englobera tous les médecins et qui sera pourvu de sanctions suffisantes pour imposer à ceux qui auraient tendance à les méconnaître, les règles déontologiques. Nous avons la conviction que Monsieur Loucheur saura prendre les initiatives nécessaires devant le Parlement, la présente communication ayant pour but de lui apporter l’approbation de l’Académie de Médecine, gardienne des traditions d’honneur du Corps médical français. L’Ordre des médecins sera au point de vue moral, l’ampliation du Syndicalisme médical ».

« Tous les milieux médicaux s’accordent pour adopter un code de déontologie qui est établi depuis longtemps par Lereboullet et Legendre ».

Le principe de la création d’un Ordre des Médecins, la commission repoussant alors définitivement le terme de Collège pour celui de l’ « Ordre », est également adopté à l’unanimité, moins une voix, par la Société de Médecine légale, suivant un rapport présenté par le docteur Liouville le 10 février 1930 et précédemment à l’Association Générale des Médecins de France. C’est sur ce texte ainsi établi que furent fondées les discussions à la Commission de l’Hygiène de la Chambre des Députés.

Le 2 juin 1929, la 2ème assemblée générale de la Confédération des Syndicats médicaux, dans l’esprit de la profession médicale, adopte le texte « considérant que seule la profession obligatoirement organisée peut être la fidèle gardienne de la moralité professionnelle », se déclare partisane d’un Ordre des médecins, et le Docteur Cibrié de conclure : « un ordre des médecins fait sans nous, l’eût été contre nous ».

La chronologie historique des faits rapportés confirme à l’évidence que le projet de la création d’un Ordre des Médecins en accord avec les syndicats médicaux et l’Académie de Médecine date incontestablement de l’année 1929.

En 1930, la confédération des syndicaux médicaux français publie son règlement de déontologie médicale commençant par une énumération des devoirs généraux des médecins. A ce texte comportant 60 articles, était annexé un projet de loi instituant un Ordre des médecins dont l’article 1er prévoyait : « les médecins exerçant sur le territoire français forment dans le département où ils résident un Ordre des Médecins ».

Le 9 décembre 1932, deux rapports, présentés par le député de la Manche, le Docteur Joseph Lecacheux, et soumis à la commission d’hygiène, sont votés par la Chambre des députés et adressés en 1934 à la Commission de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance sociales du Sénat. Le texte de la Commission sénatoriale rapporté par le Docteur Gadaud, sénateur de la Dordogne, se rapproche sensiblement de celui que la Chambre des députés a voté avec quelques modifications, approuvées par la Confédération des Syndicats médicaux lors de son assemblée de décembre 1932.

Le 30 mars 1933, le Docteur P. Dibos, président de la Confédération des Syndicats médicaux écrivait : « Ordre est synonyme de règle, de discipline. Un Ordre des médecins est une discipline obligatoire pour tous les médecins ».

Le 14 février 1935, le Sénat adoptait le texte modifié en le réadressant à la Chambre des Députés avec « le désir formel des médecins de voir aboutir le plus rapidement possible cette loi » (cf. proposition de loi, annexe au procès-verbal de la 1ère séance du 21 février 1935, adoptée par la Chambre des Députés, adoptée avec modifications par le Sénat, « ayant pour but de modifier et de compléter la loi du 30 novembre 1892 en ce qui concerne l’exercice de la médecine).

Ce désir formel des médecins ne devait pas résister à la volonté du Parlement de renvoyer en 2ème lecture ce projet devant la Commission d’Hygiène .

La question se pose de savoir quelle pouvait être la raison de ce renvoi : à l’évidence, on ne peut qu’évoquer la crise politique et sociale de 1936 . Les changements successifs de gouvernements étaient-ils de nature à justifier l’absence du vote et de l’adoption de cette loi au parlement durant plus de 4 ans ? Pour constater qu’en :

Septembre 1939, à la veille de la déclaration de guerre contre l’Allemagne, le texte n’avait toujours pas été voté ni adopté par la Chambre des députés, encombrée par le nombre de propositions soumises alors au gouvernement d’E. Daladier.

Le premier Conseil de l'Ordre des Médecins : 1940 - 1944

L’autorité du gouvernement de Vichy, dans des circonstances profondément anormales, s’arroge le 7 octobre 1940 le droit de la création de l’Ordre des Médecins qui comprenait un Conseil Supérieur de la médecine et des Conseils départementaux dont les membres étaient, non pas élus, mais nommés par le Ministre, ceci jusqu’ en 1942. C’est le Docteur Serge Huard, chirurgien de hôpitaux de Paris, secrétaire d’Etat à la famille et à la santé ( de 1940 à 1942 ) qui en est l’artisan et il s’en explique : « il faut organiser une profession qui ne l’a jamais été. l’Ordre imposera l’esprit de solidarité à tous les médecins ». En octobre 1940, le Docteur Huard convoque le Professeur R. Leriche (qui avait refusé précédemment le poste de ministre de la Santé puis celui de l’Education Nationale) pour s’entendre dire : « le Conseil des ministres a décidé de créer un Ordre des Médecins et vous a choisi pour être le président ; représentant de l’Alsace, c’est une manière de protestation contre la mainmise sur notre pays ». Le Professeur Leriche décline l’offre, mais, en fait dit le Docteur Huard, « il ne s’agit pas seulement de cela, les Allemands exigent que dans 48 heures nous leur ayons donné le nom d’un médecin responsable pour tous devant eux. S’ils ne l’ont pas, ils feront rentrer les médecins français dans la discipline de la médecine allemande et comme ils ont besoin de médecins civils, ils en déporteront en Allemagne quelques milliers. Vous ne pouvez refuser et il me faut une réponse ce soir ». La question étant ainsi posée, poursuit le Professeur Leriche dans ses mémoires, je ne pouvais plus me dérober. J’acceptais : « pas un médecin ne fut déporté en réponse aux exigences immédiates des autorités allemandes ». La loi de création de l’Ordre des Médecins fut ainsi promulguée le 7 octobre 1940.

Cette période est marquée à l’égard des médecins israélites par d’inadmissibles mesures d’exclusion dictées par le secrétariat d’Etat à la famille et à la santé, imposant au Conseil supérieur de la médecine la charge d’appliquer les décrets discriminatoires (11 août 1941) dont ceux du commissariat général aux questions juives : lequel écrit le 15 décembre 1941,« nous notons que l’ordre des médecins ne met aucun empressement à faire appliquer cette loi » concernant nos confrères « interdits d’exercer une profession libérale ». Présidé par le Professeur Portes, il faut constater à l’évidence que le Conseil de l’Ordre, pris dans l’étau de Vichy, n’a jamais cru devoir protester contre les odieuses lois d’exclusion des médecins de confession israélite même si le questionnaire établi librement par le Conseil supérieur de la médecine et destiné à l’inscription des médecins ne comportait, par contre, aucune mention discriminative relative à des appartenances confessionnelles, syndicales ou politiques. D’autre part, des réseaux clandestins de résistance aux forces d’occupation se constituent avec les patrons des hôpitaux, leurs élèves, de nombreux médecins, tant à Paris qu’en province, créant rapidement « un service sanitaire national occulte » Cette résistance à l’occupant se manifesta également lorsque les autorités d’occupation demandant à s’en tenir à des visites de pure forme pour les examens d’embauche au S.T.O. (Service du Travail Obligatoire), ce à quoi, le 1er Président du Conseil de l’Ordre, le Professeur Leriche, répondit : « au contraire, ces examens doivent être sérieux, complets et ne s’inspirant que de notre conscience », ce qui ralentissait considérablement les éventuels départs en Allemagne. Un premier code de déontologie est publié en 1941 mais le Professeur Leriche démissionnera le 28 décembre 1942, refusant de faire partie du nouveau Conseil, étant en désaccord avec les projets du nouveau ministre, le Professeur Louis Portes lui succédera. La « nomination » des membres du Conseil de l’Ordre des médecins fut alors remplacée en 1942 par « l’ élection » des conseillers par l’ensemble des médecins.

Le 18 octobre 1943 , une ordonnance du Gouvernement provisoire de la République française à Alger, annule les dispositions de « l’autorité de fait » de Vichy, contraires à la législation républicaine, tout en maintenant le principe de l’Ordre.

Il ne faut pas oublier non plus qu’en 1944, un avis du commandement des troupes d’occupation allemandes stipulait que « tout blessé par arme à feu devait être signalé à la police allemande et que quiconque ne fera pas cette déclaration s’exposera aux peines les plus sévères, le cas échéant à la peine de mort » et dans les premiers jours de juillet 1944, la Kommandantur de Paris publie un arrêté enjoignant aux médecins français de signaler immédiatement aux autorités allemandes tout blessé civil, sous peine d’être fusillés. C’est dans ces conditions que le 8 juillet 1944, le Professeur Portes, président du Conseil National de l’Ordre des médecins, répondait en pleine insurrection parisienne par la motion suivante, rédigée avec le Docteur B. Lafay :

« Le Président du Conseil de l’Ordre des Médecins se permet personnellement de rappeler à ses confrères qu’appelés auprès de malades ou de blessés ils n’ont d’autre mission à remplir que leur donner leurs soins, le respect du secret professionnel étant la condition nécessaire de la confiance que les malades portent à leur médecin, il n’est aucune considération administrative qui puisse nous en dégager ».

Cette motion, gravée dans le marbre, figure dans le hall du Conseil National de l’Ordre des Médecins au 4, rue Léon Jost 75855 PARIS Cedex 17.

Au péril de leur vie, le Docteur B. Lafay, membre du conseil de l’Ordre, résistant notoire, accompagné du Docteur Judet avec lequel il menait ses actions de résistance, portèrent cette déclaration à la Kommandantur, se souvenant :« le cœur un peu serré, nous gravîmes le long escalier qui menait au bureau du général et remîmes notre message, nous attendîmes longtemps dans une pièce qui préfigurait la cellule qui nous attendait, … puis un gradé allemand aux cheveux grisonnants parut et nous mis à la porte en vociférant » raconte le Docteur Judet. Cette déclaration fut adressée aussitôt par télégramme le 8 juillet 1944 à tous les médecins français, démarche exemplaire dont on doit mesurer la gravité, le risque et le courage : « l’Ordre des médecins, ce jour là, a acquis de singulières lettres de noblesse et bien peu de combattants se doutèrent que la protection du corps médical s’était étendue sur eux » (Chirurgiens de père en fils, Professeur Jean Judet ) et lettre personnelle du 16 octobre 1990.

Le Conseil Supérieur de la Médecine, créé par Vichy, devenu en juillet 1943 Conseil National de l’Ordre des Médecins, produira sa dernière circulaire le 2 juin 1944 en instaurant une carte d’identité professionnelle et l’Ordre sera dissout le 27 août 1944.

Le 12 octobre 1944, une seconde ordonnance crée un Ordre provisoire qui ne se réunira qu’une seule fois en février 1945, sous l’égide du Professeur Pasteur-Valéry-Radot et sous la présidence du Professeur Coutela.

L'Ordre actuel

L’ordonnance du 24 septembre 1945, signée par Monsieur Billioux, ministre communiste de la santé à cette époque, crée définitivement l’Ordre actuel qui se voit « chargé du maintien des principes de moralité, de probité, et de dévouement indispensables à l’exercice de la médecine… et à l’observation des règles dictées par le code de déontologie. »

Dans « L’Honneur de Vivre », le Professeur Robert Debré cite l’attitude courageuse du Professeur Portes, qui rappelait à chaque médecin son obligation, notamment l’obéissance absolue au secret professionnel que l’occupant nous demandait de violer. C’est également le Professeur Portes qui dédia en 1947 la préface du premier code de déontologie médicale : « à tous les médecins français qui, sous l’occupation, préfèrent la déportation ou la mort à la violation de leur secret professionnel ». « L’Ordre des médecins s’est bien comporté, pas le ministère de la santé qui était truffé de représentants de Vichy » fait observer le Professeur Milliez. En effet, au sentiment de honte et au déshonneur que suscitent la haine banalisée, les crimes raciaux de discrimination et d’exclusion durant cette période de triste mémoire, il ne faut pas oublier non plus que le corps médical, des médecins les plus anonymes à ceux de nos patrons les plus connus sans méconnaître également les étudiants en médecine et les internes des hôpitaux, a contribué par ses actes de courage à s’illustrer dès sa création en 1942 dans le service de santé national de la Résistance et dans le Comité national des médecins, qui fusionnèrent ensuite dans le Comité médical de la Résistance.

Rappelons qu’une circulaire du Premier Ministre en date du 2 octobre 1997 confère aux archives détenues, pour la période de l’Occupation de 1940 à 1945, le caractère d’archives historiques. Leur facilité d’accès (loi du 3 janvier 1979) permet donc la consultation des archives publiques ou privées détenues par les conseils départementaux : transparence justifiée et indispensable pour une période de notre histoire douloureusement confrontée à un engrenage de faits odieux et de comportements à jamais regrettables, mêlant la délation à l’idéologie la plus sectaire.

A l’évidence, le Conseil National de l’Ordre des Médecins n’a pas été à l’abri de critiques, de justifications, de réformes comme le projet Terquem en 1991, de demandes de sa suppression par le parti socialiste : propositions de loi en janvier 1975, en mars 1979, et en 1981 dans une des 110 propositions de l’engagement du candidat Mitterand à la Présidence de la République, considérant l’institution ordinale comme «une offense pour la démocratie ».

Cet engagement est tempéré du reste quelque temps après par « l’élaboration des textes nécessaires à la mise en œuvre de l’engagement et que soit largement débattue à cette occasion la question de savoir si la suppression de l’Ordre National doit s’accompagner de maintien, au plan local, d’une organisation de type professionnel chargée de remplir un certain nombre de tâches concrètes liées à l’exercice de la profession. Le gouvernement devra en effet peser les avantages et les inconvénients avant de déterminer le choix qu’il soumettra au Gouvernement précision contenue dans la lettre de Madame Y. N., Conseiller Technique à la Présidence de la République, à l’attention du Docteur S. N., en date du 11 mars 1982 (document personnel).

L’Institution Ordinale est bien consciente qu’elle doit évoluer en fonction de l’avancée des progrès scientifiques dans l’intérêt des personnes malades et de la santé publique tel que le prévoit l’article 2 du code de déontologie, lequel est remis à jour régulièrement dans une réflexion ordinale collégiale sous l’autorité d’un conseiller d’Etat, membre du Conseil de l’Ordre. L’Institution ne méconnaît pas non plus les réformes indispensables attendues par les médecins en rapport avec les programmes universitaires, les obligations indispensables liées à la formation médicale continue, les nouveaux modes d’exercice, les différentes conditions d’installation, les variations démographiques du corps médical, les nouvelles législations du code pénal ou du code de la santé publique…

La Cour Européenne des Droits de l’Homme a rendu en 1988 un arrêt confirmant l’autorité légitime de l’Ordre des médecins tel qu’il existe depuis 1945 et la Conférence Internationale des Ordres et Organismes d’attributions similaires créé en 1971 a été constituée dans le cadre du traité de Rome et dans la perspective de l’application des décisions communautaires en Europe après le 31 décembre 1992. Cette perspective concerne également l’application des principes qui doivent guider la conduite professionnelle des médecins, quel que soit leur mode d’exercice dans leurs rapports avec les malades, la collectivité et également entre eux. Le Conseil National de l’Ordre des Médecins Français est représenté en permanence à la Conférence Internationale des Ordres, comme aux travaux du Conseil de l’Europe et du Comité Permanent des Médecins de la CEE.depuis 1987.

Enfin, le Parlement Européen a adopté le 16 décembre 2003 une résolution réaffirmant l’importance de la déontologie, confortant le rôle des ordres professionnels et estimant que « l’importance que revêt l’éthique, la confidentialité à l’égard de la clientèle et un niveau élevé de connaissances spécialisées requièrent l’organisation de systèmes d’autorégulation, tels ceux qu’établissent actuellement les ordres professionnels ».

Ces lignes retracent le cheminement de la création de l’Ordre des Médecins en réponse au vœu permanent du corps médical, « au-delà de toutes les couches d’opinion de la nation », comme le rappelait en 1981 le Professeur Theil de l'Académie de médecine, et ceci dans un souci qui devait respecter la vérité historique et le devoir de mémoire liés à l’Ordre des Médecins.